Apolo
Je vous présente tout d’abord une série de peintures, nous verrons une vidéo après.
J’ai commencé cette série il y a quelques mois, elle n’a pas de raison de s’arrêter, chaque nouvelle toile est un peu comme un recommencement. Elles sont toutes figuratives et ce qu’elles figurent c’est à chaque fois une peinture abstraite.

Caroline
Ah oui, c’est des petites peintures figuratives de grandes peintures abstraites.

Apolo
Oui c’est ça.

Cyril
Avez-vous limité les éléments figuratifs à une ligne qui délimite le mur du sol et à la tranche du tableau pour que l’on se concentre sur la peinture représentée?

Apolo
Absolument, et je commence par peindre ces deux indications spatiales, c’est un peu comme faire griller son pain avant d’avoir le plaisir de le déguster, si je le pouvais je ferai faire cette étape par un assistant.

Cyril
Si on suit votre raisonnement, pourquoi à ce moment là ne peignez-vous pas directement plein cadre, vous pourriez alors déguster votre pain déjà grillé.

Clément
En fait vous êtes complètement frileux, typiquement la posture post-moderne, pour vous tout à été fait et la question du style n’a plus aucun sens quoi! On ne peux plus rien faire d’autre que refaire, remettre en scène, se réapproprier et je ne sais quoi d’autre encore!

Caroline
Je ne suis pas entièrement d’accord, ces peintures, on peux aussi les voir comme un assemblage de formes, cette ligne qui délimite le sol du mur, rien n’empêche d’y voir un élément de la composition.

Clément
Pourquoi toujours ce désengagement, moi ça me fatigue!

Apolo
Mais moi je l’envisage absolument comme de la peinture, mettre une toile en perspective dans un espace réel m’offre un formidable espace de liberté.

Caroline à Clément
Oui, et le fait que la peinture qui est figurée ne soit pas plein cadre n’empêche pas que l’on parle tout de même d’une peinture.

Clément
Ici on a clairement le sentiment de la citation, avec une sorte de distance ironique.

Caroline
Je ne crois pas qu’il faille vraiment s’attacher à l’idée de citation...

Clément
Enfin là, on peut difficilement s’empêcher de voir un Richter!

Caroline à Clément
Ce serait dommage s’il y avait une volonté de copier, ou mettre en abîme une peinture existante, ça fermerait immédiatement l’espace de liberté ouvert.

Clément
Ces peintures c’est bien une idée de peinture?

Apolo
Non, peut-être l’idée de peinture c’est si j’avais représenté une peinture blanche, ou une toile vierge, je ne sais pas.

Caroline
Il n’aurait pu en faire qu’une, je crois ici que l’idée c’est tout en restant proche du médium, se permettre tout de même de ne pas en faire qu’un commentaire.

Cyril
Moi je trouve ça très réussit, partir du médium pur, le prendre en compte dans toutes ses spécificités, mais quand même tenter d’en faire quelque chose, et se donner les moyens, à l’aide d’un protocole, de pouvoir le réutiliser, sans clore le débat.

Caroline
Oui, parce que d’une certaine façon le protocole en question n’aboutit jamais à la même image.

Clément
En même temps c’est bien toujours la même toile qui est peinte, avec un sujet unique.

Apolo
Mais c’est dans le traitement de mon sujet que je me permet des écarts de style et de facture, c’est en ça que je me sens libre.

Caroline
C’est vrai que plus le protocole que vous mettez en place se répète, plus chacune des toiles se distingue des autres, le caractère unique du protocole, bien plus que de l’empêcher, appelle une certaine diversité.

-Acquiescement d’Apolo-

Claire
Et avec les autres médiums, comment vous en sortez-vous?

Apolo
justement, si vous voulez on peut voir maintenant la vidéo, qui prend son origine un peu dans les mêmes questionnements, en tous cas qui est contemporaine de cette série de peintures.

-Apolo sort des chaises des coulisses, tout le monde s’assoit-

EXTRAIT
-Au bout d’une minute-:

Caroline
On va peut-être s’arrêter là!

Apolo
oui

-tout le monde se lève, Apolo range vite les chaises-

Cyril
C’est une boucle?

Apolo
C’est un plan-séquence d’une heure pour lequel j’ai rejoué une action, à la manière d’une boucle, la musique aussi a été jouée selon le même principe.

Caroline
Vous avez choisi le suicide pour déprimer le spectateur?

Apolo
Euh, non non

Clément
C’est pas mal le suicide moi je trouve.

Caroline
mmh...

Clément
Je trouve ça assez subtil d’avoir choisi une action irréversible pour finalement la rejouer.

Apolo
Oui, c’est pour ça que j’ai choisi de me suicider plutôt que d’enlever mes chaussures.

Clément
Et puis ça vous permet de ressusciter, ce qui n’est pas rien!

Caroline
Mais pourquoi rejouer une action?

Clément
Cela produit une boucle qui n’en est pas une.

Cyril
mmh, en fait, la boucle devient le prétexte d’une expérience, un peu dure l’expérience non? on est loin du plaisir de la tartine de peinture!

Apolo
Effectivement, c’était assez physique, mais il y avait quelque chose, je ne sais pas comment dire, de se mesurer physiquement au médium, de l’éprouver.

Caroline
D’une certaine manière, comme avec les peintures, ce qui est de l’ordre de l’anecdote, autrement dit l’espace réel d’un coté, le récit fictionnel de l’autre, sont réduits à leur plus simple énoncé. Ici, c’est un peu une autofiction réduite au minimum: vie et mort

Claire
Peut-être que cette vidéo procède, comme vos peintures, de cette idée d’avoir conscience du médium et en même temps de ne pas en rester là, de ne pas faire se retourner le médium sur lui-même.

Apolo
Oui, il s’agit toujours pour moi de travailler strictement à l’intérieur d’une situation, qui est souvent celle du médium utilisé, mais en ne renonçant jamais à une part de liberté, suivant le médium ou la situation, la question se posera différemment.

Cyril
Avez-vous autre chose que vous voulez nous montrer avant de finir?

Apolo
Je n’ai pas encore abordé tous les médiums, mais je m’intéresse en ce moment à la photographie. Je vais vous en montrer deux.

-Apolo sort les photos des coulisses, il en accroche une et pose l’autre contre le mur-

Vous voyez, je suis parti de la situation du médium seul, qui se regarde lui-même, c’est une image très conceptuelle, elle ne parle que de la façon dont elle a été faite, et c’est mon point de départ.

Cyril
Oui, et il n’y a pas grand chose d’autre à en dire, pour le coup, elle clôt le débat.

Apolo
Absolument, ç’est éventuellement une belle photo mais elle n’est pas intéressante.

Cyril
Dans la seconde, votre intervention dégrade l’image.

Apolo
Oui, ça prend la forme d’une photo ratée

Caroline
En faisant une mauvaise photo, vous affirmez votre liberté vis-à-vis du médium.

Cyril
En fait vous parvenez, en faisant une mauvaise photo, à faire une belle photo d’art.

Caroline
Mais pourquoi avoir agrandie et encadré l’une, et avoir laissé l’autre telle quelle, format A4?

Clément
Je crois que c’est assez clair, le discours de cette image, c’est de dire finalement peut importe la forme, seul le procédé compte, on peut donc l’imprimer sur une vulgaire feuille A4.

Cyril
Je suis d’accord oui, et puisque l’autre parle d’art, c’est à dire du fait qu’elle n’est pas assujettie à une notion de beauté plastique, il est juste qu’elle se présente sous la forme commune des images d’art, bien encadrée.

-acquiescement d’Apolo-

Clément
Etes-vous entièrement satisfait de cette image?

Apolo
Je crois que j’ai ouvert le débat, mais je n’ai pas encore trouvé avec quoi l’alimenter.

Cyril
Oui, ça me semble être un bon point de départ, dans la mesure où vous parvenez, avec cette image, à parler du médium et en même temps de votre libre présence dans ce médium, je crois que la question c’est quelle est la photo d’après?

Apolo
Oui, c’est la question que je me pose, c’est là-dessus que je travaille actuellement.

Clément (regardant sa montre)
Merci, nous avons déjà dépassé le temps réglementaire, je sais, c’est très court, mais nous devons délibérer maintenant...

Apolo
Merci beaucoup.